Journée d’études organisée à l’Université de Poitiers dans le cadre du laboratoire FoReLL (Formes et Représentations en Linguistique et Littérature – EA. 3816)
Le 26 septembre 2014
Responsables : Elsa Caboche et Désirée Lorenz
Appel à contributions
Les définitions fluctuantes de la bande dessinée ont ceci en commun qu’elles tendent à faire d’elle un médium hybride, soit en insistant sur la coprésence supposée constitutive du texte et de l’image, soit en convoquant ou en révoquant la parenté d’autres médias pour retracer son histoire et pour construire un discours théorique. D’aucuns la font remonter à la peinture pariétale, d’autres voient en elle un art que sa relative jeunesse et sa quête de légitimité rapprochent du cinéma. Certaines pratiques commerciales, comme l’« album du film » adapté plus ou moins adroitement des celluloïds d’un film d’animation, ou l’estampillage abusif « romans graphiques » dans les librairies qui désignent ainsi l’ensemble de leur rayon « bandes dessinées », témoignent d’un certain inconfort à extraire la bande dessinée d’une constellation médiatique où elle évolue pourtant avec aisance. En effet, elle entretient avec d’autres médias des rapports dynamiques aussi bien sur le mode de la transmédialité – lorsqu’elle assure la fonction de passeurs de récits en partage avec d’autres médias – que sur celui de l’hybridation – lorsqu’en se combinant avec d’autres médias elle participe à la création de nouvelles formes artistiques.
La bande dessinée, tout d’abord, circule avec fluidité entre les médias : de l’adaptation par les frères Wachowski de V pour Vendetta d’Alan Moore et David Lloyd à celle de la bande dessinée d’anticipation Le Transperceneige de Jacques Lob et Jean-Marc Rochette, en passant par la transposition en bande dessinée de la célèbre trilogie Millénium de Stieg Larsson ou encore de celle d’auteurs plus classiques – on songe auVoyage au bout de la nuit de Tardi –, la bande dessinée participe aujourd’hui au premier plan à la production et à la diffusion massive de récits issus aussi bien de la culture populaire que de la culture savante. Qu’il s’agisse des explorations magrittiennes de Vaughn-James dans son roman graphique La Cage, de la picturalité d’une œuvre comme celle de Breccia, ou encore de l’hybridité de l’adaptation cinématographique de Sin City par Robert Rodriguez et Franck Miller mêlant cinéma et comics de manière inédite, le processus de création en bande dessinée permet la découverte de nouvelles matérialités. En son sein même, la bande dessinée accueille également d’autres médias sous forme thématique ou à travers une hybridation formelle. Dans les deux cas, elle s’approprie la matérialité du médium étranger soit en l’assimilant, c’est-à-dire en l’informant par ses propres codes, soit en préservant sa spécificité dans le cadre d’œuvres délibérément composites. Celles-ci peuvent être le fruit d’une collaboration entre deux ou plusieurs créateurs, ou de la polyvalence d’un seul et même auteur. Dans cette perspective, la bande dessinée intermédiale est souvent interartiale et son hybridité trouve sens dans une optique esthétique et culturelle. Néanmoins, la bande dessinée contemporaine prend parfois les chemins d’une intermédialité, qu’on pourrait appeler disciplinaire, où le médium convoqué n’a pas a priori de portée esthétique : on peut songer, par exemple, aux outils qu’emprunte Chris Ware aux représentations techniques (plans, schémas explicatifs…) – du reste esthétisés dans son œuvre – ou aux matériaux de travail mobilisés par certains auteurs, à la manière de Shaun Tan qui filme préalablement les scènes de ses planches.
Si la bande dessinée semble être ainsi un lieu privilégié pour l’exploration des potentialités de l’intermédialité, ce n’est pourtant que très récemment relativement à l’histoire des relations entre les médias qu’elle s’est imposée comme un élément crucial dans la production culturelle. La nouvelle place acquise par la bande dessinée à côté des arts dits majeurs que sont la littérature, la peinture ou encore le cinéma, témoigne-t-elle d’une étape franchie dans sa quête de reconnaissance, ou bien le transfert narratif mutuel entre la bande dessinée et les autres médias ne met-il pas plutôt en exergue l’hétérogénéité de l’art et/ou la primauté du récit dans nos sociétés aux « fictions sans frontières » (Groensteen, 1998) ?
À travers une investigation des différentes actualisations des relations intermédiales impliquant la présence de la bande dessinée, cette journée d’étude entend interroger le statut médiatique, culturel et artistique de la bande dessinée (entre autonomie et hétéronomie). Il s’agit également de considérer la manière dont la bande dessinée, à travers ces multiples relations intermédiales, questionne à son tour le fonctionnement général de la culture contemporaine.
Cette journée d’étude a pour vocation de faire se rencontrer des jeunes chercheurs de différentes disciplines (comparatistes, culturalistes, sociologues de l’art, etc.) dont le travail questionne les rapports que la bande dessinée entretient avec les autres médias.
Les propositions (environ 2500 signes espaces compris) doivent être envoyées à Elsa Caboche (elsa.caboche@univ-poitiers.fr) et Désirée Lorenz (desiree.lorenz@univ-poitiers.fr) avant le 1er mai 2014.
Bibliographie indicative
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Coëllier, S., Dieuzayde, L. (2011). Arts, transversalités et questions politiques. Aix-en-Provence : PUP.
Froger, M., Müller, E. J. (2007). Intermédialité et socialité. Histoire et géographie d’un concept. Münster : Nodus Publication.
Gaudreault, A., Groensteen, T. (dir.) (1998). Pour une théorie de l’adaptation. Littérature. Cinéma. Bande Dessinée. Théâtre. Clip. Québec : Nota Bene.
Groensteen, T. (1998a). Fictions sans frontières. Dans Gaudreault, A., Groensteen, T. (dir.), Pour une théorie de l’adaptation. Littérature. Cinéma. Bande Dessinée. Théâtre. Clip. (pp. 9-30). Québec : Nota Bene.
Guiyoba, F. (n.d.) Intermédialité/Intermediality. Dans le Dictionnaire international des Termes Littéraires (DITL).
Lacasse, G. (2000). Intermédialité, deixis et politique. Cinémas : revue d’études cinématographiques, 10, 85-104.
Mariniello, S. (2011). L’intermédialité : un concept polymorphe. Dans Viera, C., Rio Novo, I. (ed.), Inter Media. Littérature, cinéma et intermédialité (pp. 14-25). Paris : L’Harmattan.
Müller, E. J. (2006). Vers l’intermédialité. Histoire, positions et options d’un axe de pertinence. Médiamorphoses, 16, 99-110.
Rajewsky, I. O. (2005). Intermediality, Intertextuality, and Remediation : A Literary Perspective on Intermediality. Intermédialités : histoire et théorie des arts, des lettres et des techniques / Intermediality : History and Theory of the Arts, Litterature and Technologies, 6, 43-64.
Schröter, J. (2011). Discourses and Models of Intermediality. CLCWeb: Comparative Literature and Culture. http://docs.lib.purdue.edu/clcweb/vol13/iss3/3.