Texte de cadrage :
En collaboration avec le centre de recherche EMMA (Études Montpelliéraines du Monde Anglophone), le colloque international de la SAIT 2012 se propose de poursuivre autour du point la réflexion engagée sur les relations entre texte et image. Entre le signe de ponctuation sur la page écrite et la marque sur l’image (peinture, dessin ou photographie), c’est à la rencontre ou à la non-rencontre de deux objets qui relèvent chacun d’une expression silencieuse que nous nous attacherons. Du point, il ne s’agit pas ici de restreindre le champ, mais bien plutôt de décliner le sens, à l’instar de ce que fait Roland Barthes dans La Chambre claire lorsqu’il associe punctum et ponctuation et trouve en même temps dans le point la « blessure » : « punctum, c’est aussi : piqûre, petit trou, petite tache, petite coupure et coup de dés. Le punctum d’une photo, c’est ce hasard qui, en elle, me point (mais aussi me meurtrit, me poigne) ».
En tant qu’élément d’articulation et d’accentuation syntaxique, le point met surtout en avant la non-coïncidence entre le texte et l’image, l’opposition entre un espace découpé en unités de sens qui s’enchaînent linéairement et un espace qui échappe à cette segmentation et à cet ordonnancement séquentiels. À cela, on peut d’abord objecter qu’il faut envisager le cas de l’image qui se divise ou se démultiplie, qui s’ordonne en séries ou suites, ou encore l’image mouvante qui se décompose en scènes et en plans. On notera que cette ponctuation, qui ouvre un champ multiples d’articulations possibles (non seulement horizontales, mais verticales ou transversales) ne laisse pas moins ouverte la question de savoir ce qui peut jouer le rôle de point d’arrêt dans la lecture ou dans la « voyure », pour reprendre un terme de Liliane Louvel. « How do you decide to stop looking at something? » : cette interrogation que l’on trouve dans la bouche d’un des personnages de A.S. Byatt ne concerne-t-elle pas aussi bien celui qui lit que celui qui voit (en des termes analogues et forcément différents), quand bien même le parcours serait pour l’un comme pour l’autre découpé et orienté ? Le lecteur ne trouve-t-il pas aussi son bonheur dans ce qui trouble l’agencement du texte, dans ce qui rend incertaine sa scansion ou son bouclage autour d’un point de capiton, et quand, finalement, reste cette question : « Qu’est-ce qui s’est passé ? » ?
Que l’on s’intéresse au texte ou à l’image ou à leur attirance mutuelle, on ne manquera de s’arrêter sur un paradoxe qui tient à la définition géométrique du point : « portion de l’espace déterminée avec précision par des coordonnées », il est aussi cette « portion de l’espace dont toutes les dimensions sont nulles ». Ainsi, ce qui peut servir de point d’appui au regard ou à la lecture (point saillant, point culminant, point critique) pourra-t-il être également – et en même temps – point de fuite, point aveugle, point d’achoppement, point mort ; la « piqûre ou perforation » qui désigne un point d’intensité ou de concentration de l’affect sera aussi le point insaisissable où le sens défaille ou s’annule. On entendra alors dans ce « point », qui fait simultanément saillie et trou l’élément de la négation qui remplace parfois le « pas ». Tout en envisageant les extensions possibles du point, on continuera de l’appréhender dans sa matérialité comme marque, portion déterminée de l’espace, ce par quoi il ne manque pas de se dérober. La question de la visibilité même du point se pose ainsi que celle de la valeur que peut prendre son exacerbation. Pour l’image d’abord : on peut songer à la vocation du point dans le pointillisme, ou encore au point qui dans la peinture « abstraite » ne relève pas de l’abstraction mathématique (le point de Kandinsky, pour ne prendre qu’un exemple, possède une extension, une forme et une couleur). Pour ce qui est du texte, on peut estimer que le point, indispensable à la lecture, est voué à passer inaperçu ; il lui arrive pourtant aussi de s’afficher par excès (parataxe) ou par défaut (logorrhée), lorsqu’il surgit de façon abrupte (aposiopèse) ou encore s’étire et se multiplie (points de suspension). On pourra s’intéresser au « langage » du point, à la façon dont il participe au sens et à l’expressivité du texte jusque dans ses modulations (point virgule, deux points, points d’exclamation ou d’interrogation), à sa contribution aux fonctions phatiques et conatives du langage. Si ce langage silencieux peut être porteur de sens, c’est aussi parfois sa force mutique que l’on entend par dessus tout – la résistance de l’affect au sens.
Le point opère aussi bien la séparation que la liaison : aux points de couture ou de suture, on pourra opposer les points de rupture. Son accentuation nous invite à nous tourner vers des esthétiques et des poétiques du fragment, du discontinu (voire du décousu), de la fracture ou de l’effraction – effraction qui fait surgir un manque ou un excès, qui signale la jouissance ou l’angoisse. La pointe ou la faille peut animer ou troubler les surfaces les plus lisses ; la discontinuité n’est pas forcément désintégration. C’est aussi d’équilibre qu’il pourra être question avec le point – équilibre mis en danger par exemple lorsque certains détails / « points de détail » prennent soudain une importance inattendue et disproportionnée, lorsque « the shard is bigger than the whole ». Aux côtés du punctum de Barthes, « emphase déchirante », on ne manquera pas de donner sa place au « pan » de Georges Didi-Huberman – qui fait rayonner la force d’expansion du punctum, comme ce pan de Vermeer souligné par la plume de Proust : contrairement au simple détail « où la partie serait décomptable du tout », avec le pan, « la partie dévore le tout » : « le pan effondre les coordonnées spatiales du détail », « le pan inquiète le tableau, comme une relative défiguration ». Le rapport de
la partie au tout, la question de l’extension du point, de son rayonnement ou de sa résonance pourra nous amener aussi à l’envisager dans son rapport à la ligne (« A line is a dot that went … for a walk »), mais aussi au vide et au blanc.
Références bibliographiques
Barthes, Roland. La Chambre claire. Paris : Cahiers du Cinéma Gallimard Seuil, 1980.
Byatt, A.S. « Crocodile Tears », Elementals (1998). London: Vintage, 1999.
Deleuze, Gilles. « 1874 – Trois nouvelles, ou ‘qu’est-ce qui s’est passé ?’ », Mille Plateaux. Paris : Les Éditions de Minuit, 1980.
Didi-Huberman, Georges. Devant l’image. Paris : Les Éditions de Minuit, 1990.
Louvel, Liliane. Le Tiers Pictural. Rennes : Presses Universitaires de Rennes, 2010.
Programme :
Jeudi 20 septembre
9h30–10h30 : Conférence plénière de Liliane Louvel : Point d’arrêt, point d’ouverture : when art objects (Winterson) et « ce qui vient au point de vue » (Deleuze)
Pause
- 11h00 : Sophie Aymes : Gravure d’illustration moderniste : la ligne et le point
- 11h30 : Hélène Gaillard : Ceci n’est pas un point : Lichtenstein et le nouveau langage pictural
- 12h00 : Jennifer K. Dick : Circles and Lines / Limits and Extensions: The Kinetic Conflicts Inherent in Anne Carson’s The Life of Towns & Vassily Kandinsky’s Point and Line to Plane
12h30 : Déjeuner
- 14h00 : Pascal Bataillard : Joyce l’énigme. Variations sur le titre du point
- 14h30 : Christelle Serée-Chaussinand : ‘[I]t wasn’t in the picture and is not’ (Seamus Heaney) : les points aveugles de l’autoportrait irlandais contemporain
- 15h00 : Cathy Roche-Liger : Punctuation Marks and Points of Detail in Paul Durcan’s Intermedial Poetry
Pause
- 16h00 : Anne Reynes : « Un temps. Point. Alinéa. Je recommence » : le dispositif photographique de Claude Cahun dans Le Cœur de Pic ou la persistance du discontinu
- 16h30 : Anne-Laure Fortin-Tournès : The Photographic Grain as ‘Punctum’: Erupting Alterity in Sebald’s Intermedial Narratives
- 17h00 : Valérie Morisson : Fractures et sutures dans l’œuvre vidéographique d’Ailbhe Ni Bhriain
Vendredi 21 septembre
- 9h00 : Lynn Blin : A Funny Kind of silence – the semi-colon and the unsaid
- 9h30 : Ineke Bockting : Such a Small Fight with the Linguistic Code: The Full Stop in William Faulkner’s The Sound and the Fury
- 10h00 : Claude Maisonnat : Les points de silence dans l’écriture conradienne
Pause
- 11h00 : Catherine Lanone : ‘The Mark on the Wall’, ‘Kew Gardens’ et To the Lighthouse : du point au point d’interrogation chez V. Woolf
- 11h30 : Chantal Delourme : Virginia Woolf et la page sensible
12h : Déjeuner
- 13h30 : Jean-Pierre Montier : Le grain final
- 14h00 : Nancy Pedri : Empty Frames: Filling in the dots
- 14h30 : Fiona McCann : Punctuation and Pornography: Watermark by Sean O’Reilly
Pause
- 15h30 : Kerry-Jane Wallart : Poétique de la désignation dans All One Horse de Breyten Breytenbach
- 16h00 : Pascale Tollance : ‘Perhaps there is no time […] perhaps there is only space, and I a dot of light’ : Perforation et ponctuation dans In the Heart of the Country de J. M. Coetzee